Explorer consiste en une double activité, à la fois physique et intellectuelle. Il s’agit d’une forme d’action cadrée socialement, donc impliquant deux dimensions indissociables : l’une « matérielle » et l’autre « idéelle » au sens qu’en donne Maurice Godelier (1984). Les explorations sont des projets collectifs impliquant des observations à distance. Il en est de même pour leur mise en visibilité par des récits – souvent teintés de connotations positives – qui met en exergue la figure de l’explorateur-savant du XIXe siècle, faisant de ce dernier un véritable « héros national » (Surun, 2007).
L’enjeu de ce dossier consiste à saisir les formes communicationnelles plus ou moins institutionnalisées des « explorations », celles-ci étant entendues comme des projets conçus et mis en œuvre qui participent des dynamiques sociales. Cette question, fondamentale et éminemment politique, relève d’une construction visant à orienter les investissements publics et privés et à fédérer des actions collectives à plus ou moins long terme. De ce fait, il s’agit, comme en ce qui concerne le programme de conquête lunaire il y a cinquante ans (donnant lieu à commémorations et à une foule de projets), de mobiliser des ressources – en particulier communicationnelles – en vue de la construction de « nouvelles frontières ».
Figure archétypale d’une volonté d’exploration couplée au déplacement des frontières admises, le discours de John F. Kennedy en 1960 à la convention démocrate contient quelques grands enjeux communicationnels que le présent dossier entend questionner. « The New Frontier of which I speak is not a set of promises. It is a set of challenges » : mobilisation collective en vue d’un objectif politique, la « Nouvelle Frontière » apparaît comme étant un encouragement à explorer des territoires dans tous les domaines de la société (enjeux sociétaux, défis environnementaux…). Si la conquête spatiale et lunaire reste dans la mémoire collective le point nodal de cette nouvelle frontière, de nombreux défis politiques, économiques et sociaux sont alors visés par J. F. Kennedy. Ils sont présentés comme des domaines inconnus restant à explorer : « Beyond that frontier are uncharted areas of science and space, unsolved problems of peace and war, unconquered problems of ignorance and prejudice, unanswered questions of poverty and surplus. »